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Filière lait 2018, une année en demi teinte

L’envolée du prix du beurre sur 2017, la reprise du marché chinois et l’embellie du prix du lait payé aux producteurs nourrissaient l’espoir d’un mieux pour 2018. C’était sans compter sur la réactivité de l’économie de marché à laquelle la France est confrontée avec 40 % de sa production exportée. 

Zoom sur ces 7 premiers mois de l’année 2018

Dans la plupart des grands pays laitiers exportateurs, une forte hausse de la production de janvier à juillet 2018 s’est vérifiée (+ 0.8 %/2017)  :

 Les USA poursuivent leur croissance : + 1.1 %

■ L’Argentine relance sa production moribonde : + 6.8 %

■ L’Australie n’est pas en reste : + 1.7 %

■ L’Europe accompagne le mouvement : + 1.7 %

■ La France enregistre une progression de sa collecte de 1.4 % sur ces 7 premiers mois 2018 / 2017.

■ Il aura fallu attendre août pour percevoir un début de fléchissement sur l’Australie, l’Irlande et les Pays-Bas.

■ Seule la Nouvelle-Zélande marque une pose avec une stabilité de sa production.

 

Cette dynamique de production se juxtapose aux stocks présents de poudre de lait du début d’année (380 000 T pour l’UE auxquels s’ajoutent les stocks US). Les adjudications de stocks publics ont été atones sur le 1er trimestre (10 000 T) pour ne retrouver une dynamique qu’au 2ème trimestre (90 000 T) et sur août avec 31 000 T mais à prix cassé (1 230 €/T). Pour autant, avec cette dynamique de production, les stocks demeurent et sont estimés (publics et privés) à près de 400 000 tonnes sur fin juillet selon Atla Foods.

La reprise de la production, les stocks non résorbés, le marché intérieur récessif sur les produits frais, les difficultés conjoncturelles rencontrées sur l’export du lait infantile (salmonellose, Synutra…) sont autant de facteurs qui expliquent le reflux du prix du lait sur le 1er semestre 2018.

collecte française.pngprix mensuel du lait.png

source Alta/Eco - Gérard Calbrix - 29 août 2018

  • Des signaux plus porteurs pour cette fin d’année

Depuis août 2018, on assiste « à un fléchissement »  de la production UE sous l’effet de la sécheresse qui touche l’Europe et manifeste déjà ses premiers effets sur certains bassins laitiers français. Le renchérissement du coût alimentaire et la gestion impérative des stocks fourragers devraient prolonger cette tendance sur l’automne. La décision de la Commission Européenne de passer à 2 adjudications par mois sur cette fin d’année est de nature à aider à la résorption des stocks de poudre. Malgré l’arrêt des publications par la Chine de ses volumes importés, ce marché ouvre plus largement ses portes à l’Europe par rétorsion à la guerre commerciale avec les USA.

Les cours du beurre bien qu’inférieurs à 2017 restent porteurs. Un frémissement à la hausse réapparait pour la poudre de lait écrémé et le lactosérum. Le prix de vente sortie usine des produits laitiers s’oriente à la hausse depuis juin à l’exception du lait UHT.

Des prémices plutôt porteuses pour cette fin d’année qui se traduisent déjà par une reprise des prix payés aux producteurs sur l’été. Les négociations pour le 4ème trimestre 2018 sont déjà plus motivantes telles que les dernières en date du 14 septembre avec l’Unell (Union nationale des éleveurs livreurs à Lactalis). Lactalis avance 337 € / 1 000 litres en prix de base pour accéder à un prix moyen annuel de 320 € / 1 000 l soit un prix perçu par les producteurs d’environ 330 € / 340 €.

 

  • Quelles perspectives pour 2019 ?

Tous les producteurs, tous les transformateurs sont en quête d’une telle visibilité. Nous l’avons vu ci-dessus, la production laitière est très réactive dans un "périmètre temps" de 6-8 mois à l’échelle UE et des autres bassins exportateurs. 2019 n’échappera pas à la règle. L’année sera conditionnée par la production UE, l’export, l’écoulement des 400 000 tonnes de stock actuel et la capacité du marché à digérer le déstockage. Le couple beurre-poudre en dépend et de là, une quote-part du prix payé aux producteurs. Les moindres réserves fourragères peuvent constituer une lueur d’espoir sur les volumes produits des 4 premiers mois 2019, une fenêtre de tir pour réduire les stocks de poudre sans effet déflationniste.

 

  • Des démarches de segmentation encourageantes ?

Le lait de pâturage, sans OGM, bio… Elles ont pour but de diversifier l’offre consommateur et par de là, différencier et protéger le marché intérieur, gisement de valeur ajoutée. Encourager et structurer ces initiatives, les encadrer par un contrat producteur et la démarche marketing produit sont un vecteur pour soutenir le prix du lait. Les premières initiatives ont été plébiscitées par les consommateurs. Des producteurs profiteront des fruits de cette segmentation sur 2019.

 

  • L’enjeu des EGA

Le temps administratif (vote, ordonnance et autres textes d’application) ne joue guère en faveur d’un impact pour 2019 comme prévu. Les EGA n’encadrent pas les négociations commerciales de début 2019 des filières. Pour autant, le débat suscite la prise de conscience et contribue à instaurer un cercle vertueux pour l’avenir. Reste qu’il faut d’abord créer de la valeur ajoutée avant de débattre de son partage.

 

  • 2019, une année 2018 bis ?

Difficile d’affirmer une telle perspective, pour autant nombre de signaux sont reproduits :

  Un marché chinois présent mais opaque,

  Un marché intérieur mature, encore concurrencé

  Une production au rendez-vous

  Des stocks de poudre d’un même niveau

  Des négociations encore peu encadrées dans l’opérationnel

   Des équilibres marchés précaires.

Pour la troisième année consécutive, nombre d’indices précurseurs d’un prix payé aux producteurs similaire à 2017/2018 se reproduisent. Rester vigilant sur son coût de revient est le conseil à formuler dans ces scénarios, les quelques centimes de mieux perçus par les producteurs depuis juillet ne permettent pas de baisser la garde.

 

Quelles perspectives à plus long terme ?

Le principal marché reste la Chine pour le lait infantile, source de valeur ajoutée mais ce marché est soumis aux vicissitudes et à l’opacité du gouvernement chinois. Les difficultés Synutra sur son marché intérieur, les déboires Fonterra avec son allié chinois démontrent la complexité et l’instabilité de cet export. Et pourtant, la France connaît un franc succès avec une croissance de son export 2017 de près de 210 % par rapport à 2016. Cet eldorado potentiel ne doit pas détourner le regard des autres marchés en expansion : l’Afrique, le Moyen-Orient, les autres pays d’Asie. Il en va de l’efficience et de la volonté de nos transformateurs de percer de tels débouchés pour maintenir cet export de 40 % et les volumes français.

 

  • La France laitière dépendante de la dynamique de nos transformateurs

Participer à la croissance annuelle de 2 % du marché laitier : enjeux sanitaires, traçabilité, éthique, innovation produit, constance de la qualité, compétitivité sont les impératifs pour être acteurs.

Plusieurs entreprises françaises sont dans le top 20 mondial avec des outils à l’étranger leur permettant de connaître les spécificités des marchés locaux. Plus que le savoir-faire déjà acquis, c’est la volonté économique et politique qui dessinera la place de la France. De là se poursuivra l’émulation des producteurs français.

Jean-Yves Morice

Directeur du marché agricole Cerfrance Mayenne-Sarthe